« Humanus sum, possum errare, failli et decapi », écrivait Nostradamus.
Ce qui veut dire: «Je ne suis qu'un homme, je peux me tromper ; faillit ; être abusé.»
Voilà un bien
curieux
personnage, qui a fait et fait encore les beaux jours des
éditeurs, mais à qui les livres d'Histoire consacrés à la
Renaissance font très sommairement allusion, quand ils ne l'ignorent
pas totalement.
Pourquoi ce mépris ou cette ignorance volontaire des historiens contemporains à son égard ? Parce que Nostradamus n'est pas, selon eux, un personnage sérieux, mais aussi et surtout, peut-être, parce que, tout compte fait, on sait très peu de choses sur lui. Dès lors, ce qui reste de lui tient plus de la légende et du folklore que de la philosophie et des sciences occultes de la Renaissance, dont on a scrupule aujourd'hui à vouloir souligner qu'elles furent le berceau des sciences modernes; ce qui fut pourtant bien le cas. Tout cela rend celui que l'on surnommait le « Mage de Salon » - non pas parce qu'il fréquentait les salons mondains, mais parce qu'il vécut les quatorze dernières années de sa vie à Salon-de- Provence, où les princes et les rois venaient le consulter - peu crédible aux yeux de nos très sérieux universitaires. Car en réalité, il ne se range dans aucune case de notre jeu social actuel. Qui plus est, si l'on se penche un tant soit peu sur sa biographie, on découvre (ô scandale !) que Michel de Nostredame, dit Nostradamus, était un médecin diplômé et que, en son temps, il exerçait son art avec talent et renommée. Comment imaginer aujourd'hui, au siècle du rationalisme et de la technologie, qu'un médecin puisse tout à coup s'investir du rôle de mage, d'astrologue et de prophète ? Enfin, hérésie suprême, il s'est vanté de prédire des fait dits historiques, comme si l'Histoire dans son ensemble était déjà écrite à l'avance. .. QUI ÉTAIT NOSTRADAMUS ? Avant d'aborder la question de ses fameuses prophéties publiées en 1555 pour la première fois à Lyon et qui, comme le soulignait Nostradamus dans la préface de son livre, prédisaient l'avenir jusqu'en 3797, penchons - nous sur l'homme, sur sa vie et le contexte dans lequel il a vécu. |
|
Maistre Michel de Nostredame, docteur en médecine de la ville de Salon - de - Craux, en Provence, vit le jour le 14 décembre 1503 - c'es t- à - dire le 23 décembre du futur calendrier grégorien -, à Saint-Rémy - de - Provence, dans une famille juive séfarade convertie au christianisme. Né tout au début du XV1e siècle, il appartient à cette époque dite de la Renaissance, où les arts, la culture et les sciences s'inspiraient beaucoup de ceux de l' Antiquité, sous le règne de François 1er, tandis que l'Hexagone était déchiré par les guerres d'Italie et que les guerres de religion menaçaient déjà d'ensanglanter la France et l'Europe. Ses racines juives ne sont pas anodines, car la tradition prophétique se trouve dans l'Ancien Testament de la Bible. n aimait lui-même se glorifier du fait qu'il était un descendant des prophètes d'Israël. Jaume de Nostredame, son père, un marchand qui avait fait fortune, était devenu notaire de la ville de Saint-Rémy. Mais il semble que ce fût surtout le grand père maternel de Michel qui joua un rôle important dans son éducation. En effet, Jean de Saint-Rémy; lui - même médecin et trésorier de la ville de Saint - Rémy; initia très tôt Michel à la médecine, aux mathématiques, à l'astronomie et à l'astrologie.
MICHEL DE NOSTREDAME, MÉDECIN PÉRIODEUTE ET GUÉRISSEUR Il fut d'abord inscrit à la faculté de médecine d'Avignon où il étudia les sciences des apothicaires et des praticiens de son temps, ainsi que le Trivium, composé par l'étude de la grammaire, de la rhétorique et de la logique, et le Quadrivium, composé de l'arithmétique, de la musique, de la géométrie et de l'astronomie. Puis, en 1529, il obtint son diplôme de docteur de la Faculté de Montpellier, où il avait suivi ses études de médecine en même temps qu'un autre étudiant, qui fut son condisciple et allait lui aussi devenir célèbre, François Rabelais. Sortant de la Faculté de médecine de Montpellier, Michel de Nostredame, qui ne se faisait pas encore appeler Nostradamus, fervent disciple d'Hippocrate, de Galien et de Ménédote, les célèbres médecins de l'Antiquité, devint médecin périodeute, c'est-à-dire itinérant, ambulant. C'est ainsi que, durant de longues années, il parcourut la France pour soigner ou guérir. Ses talents de médecin lui valurent une telle réputation, que les plus hautes autorités de la médecine de son temps - qui siégeaient à Aix - en - Provence et à Lyon - firent appel à son savoir - faire pour lutter contre les épidémies de peste qui, en 1546, faisaient des ravages en Europe. En effet, il avait mis au point un remède qui, selon lui, ne guérissait pas de la peste ceux qui avaient déjà contracté cette terrible maladie, mais pouvait agir à titre préventif, et sauver de la mort ceux qui auraient bu cette potion. Sa recette, au sujet de laquelle Nostradamus écrivit que « vers la fin, on trouva, par une expérience manifeste, que ceci préserva un mode de la contagion », fut rédigée et publiée parmi d' autres dans son ouvrage Bastiment de plusieurs receptes. Remède pour la peste, édité en 1550, à Lyon. Au grand dam de nombre de médecins de son temps qui contestèrent sa science - notamment du médecin de Lyon, Antoine Sarrazin -, les gens du peuple conclurent que Michel de Nostredame guérissait de la peste. Sa notoriété de guérisseur alla grandissante, jusqu'à précéder celle de prophète. NOSTRADAMUS PROPHÈTE En effet, Michel de Nostredame ne comptait pas en rester là. Comme tous ses contemporains, il était convaincu que les épidémies de peste avaient pour origine une malédiction reconnaissable et lisible dans les phénomènes célestes. Ainsi, de 1552 à 1566, l'année de sa mort, il se consacra plus à la divination et à l'astrologie qu'à la médecine, en entamant la publication annuelle d'almanachs et de « pronostications », très prisés en ce temps - là, les ancêtres de nos horoscopes annuels contemporains, fort lucratifs pour les libraires - éditeurs et les auteurs. François Rabelais lui - même, dans sa demeure de La Devinière, qu'il n'avait pas nommée ainsi par hasard, fut l'auteur d'almanachs et de « pronostications » annuels. En 1555, le médecin astrologue se hissa au rang des prophètes, et publia ses premières Prophéties, composées de 353 quatrains, qui eurent un succès considérable. Catherine de Médicis le consulta, ainsi que le roi Henri 11. Dans les années qui suivirent, les rois, les reines, les princes, les princesses, les contes de France, d'Italie et d' Allemagne, les papes mêmes, se rendirent régulièrement à Salon - de - Provence, où s'était installé Nostradamus.
|
|
Ci-dessus : l'édition intégrale des Prophéties de Nostradamus, de 1568. Ci-dessous : caricature de Nostradamus. (D'après Archiv für Kunst. ) |